Alejandro Gonzales Iñarritu propose avec BIRDMAN le portrait intimiste et explosif d’un homme en proie à un délire schizophrène. Concentrant sur lui toute son attention, il dépeint en parallèle avec beaucoup de sarcasme le petit univers du show business américain. Délaissant la choralité qu’il n’a eu cesse de travailler jusqu’à présent, le réalisateur signe un réel exercice de style en construisant son film comme un seul plan séquence. L’ensemble est efficace, trop sans doute tant le film se veut spectaculaire.
A la veille de la première d’une pièce qu’il monte à Broadway, Riggan Thomson (Michael Keaton) est hanté par le personnage qui a fait sa gloire mais qui résume aussi sa carrière au cinéma : Birdman. S’il ne veut pas être ruiné – ni être la risée de toute la profession – il faut que son show fasse un carton. Pourtant, comme en réponse à la confusion de son esprit, c’est la pagaille qui règne sur le plateau. Le changement soudain de la tête d’affiche rassure-t-il le producteur qu’il est père de nombreuses tensions…
Mariage improbable entre ROPE d’Alfred Hitchcock (1948) et OPENING NIGHT de John Cassavetes (1977), BIRDMAN semble associer la perversité de l’un aux enjeux de l’autre. Le tout confronté à la culture médiatique de l’immédiateté. D’entrée de jeu, la réalisateur nous fond au ressenti du protagoniste en dialogue – étrangement distancié – avec lui-même. Le chaos qui règne sur le plateau fait écho à celui qui le ronge. Riggan Thomson dirige un petit théâtre dont les règles lui échappent ce qu’il se refuse à admettre. Le business qui ne cesse d’évoluer l’a abandonné depuis longtemps et il tient à prendre sa revanche. Ce qui est d’autant moins évident qu’enfermé dans l’imaginaire de « Birdman » tout en attestant d’un égo démesuré il doit faire face à celui de Mike (Edward Norton), la star extravagante et plus capricieuse encore qui assure la vente des billets…
La satire transpire tout au long du scénario qui met en scène une galerie de personnages délicieux. En nourrissant la ligne narrative première des interactions entre les différents protagonistes, Iñarritu tourne en dérision l’univers qu’il dépeint avec férocité. Il met en place un chassé croisé des plus amusant lui permettant d’aborder des situations quelques fois improbables avec un humour des plus caustique qui fait mouche à chaque coup.
Michael Keaton se donne corps et âme au réalisateur au point de sembler se mettre à nu d’un bout à l’autre du film. Il voyage d’un état émotif à l’autre de manière bluffante sans jamais avoir peur de paraître ridicule – alors que son personnage est en bien des points pathétique. Iñarritu dirige avec brio un casting époustouflant parmi lequel Emma Stone dans le rôle de la fille de Riggan Thomson qui, délaissée par son père, sort d’une énième cure de désintoxication.
Fantasque et fantastique, BIRDMAN, qui s’ouvre sur une scène improbable de lévitation, n’en est pas moins impressionnant de réalisme. Afin de faire une critique acerbe du monde impitoyable qui résulte de la médiatisation et de la starification à outrance, Iñarritu ancre son film au coeur de la logique de ceux qu’il moque – à l’instar des films de super héros – tout exacerbant l’effet illusoire d’une caméra stylo. Déjouant sans cesse les contraintes qu’il s’impose, sa démarche apparaît platement esthétique. Ce qui ne l’empêche pas de signer un film vertigineux… toutefois nauséeux.
Le soin accordé à la photographie – tant la lumière que les angles de prise de vue ou l’étude des mouvement – est bluffant. La tonalité de l’approche esthétique ne cesse d’évoluer au fil du développement narratif, des rebondissements mais aussi et surtout de l’évolution et des questionnements des protagonistes. Iñarritu parvient ainsi à transcender la schizophrénie non plus d’un homme mais d’un microcosme qui fait écho à la société occidentale contemporaine.
BIRDMAN ou la surprenante vertu de l’ignorance
♥♥
Réalisation : Alejandro González Iñárritu
USA – 2014 – 119 min
Distribution : 20th Century Fox
Comédie dramatique
Venise 2014 – Film d’Ouverture
Film Fest Gent 2014 – Film de Clôture