Mettant en scène les retrouvailles entre une bande de copains d’une cinquantaine d’années, Laurent Cantet propose de découvrir, au fil de leurs dialogues et de leurs interactions, le visage d’une génération qui fait face à ses désillusions. A mesure que s’entremêlent les souvenirs, les fantasmes et les faux-semblants, il esquisse un portrait sensible de la réalité et de l’histoire cubaine.
Quatre amis sont réunis pour fêter la visite de l’un d’eux, Amadeo, de retour d’exil après de nombreuses années. Un cinquième, dont le retard fait beaucoup parler, est attendu. L’action prend place sur une terrasse qui domine La Havane. D’entrée de jeu la complicité qui unit les protagonistes s’impose au rythme d’une chanson qui les emporte. L’excitation du rendez-vous est-elle palpable que, parallèlement, un sentiment de gêne se dessine ou plutôt une distance. Des sentiments antagonistes qui rythment proprement les échanges dont le naturel et le réalisme sont stupéfiants. Le retour d’Amadeo est un premier déclencheur, bientôt attisé par l’aveux de son désir de rester à Cuba, conduisant les personnages à dire ce qu’ils contiennent et n’osent s’avouer.
Afin de briser la distance qui s’est installée entre eux, les protagonistes évoquent leurs souvenirs. Ils replongent ainsi dans une mémoire commune qu’ils mettent en question et en perspective. Tous deviennent conteurs au points d’être spectateurs de leurs propres récits – ne mentent-ils pas aux autres afin avant tout de se mentir à eux-même ? Les échangent se modulent, tantôt polis tantôt rythmés par des éclats nécessaires afin de briser des silences trop lourds et de permettre aux uns et aux autres de se mettre à nu.
Si, plus qu’être un simple décor, La Havane est un des personnages du film, celui-ci est intrinsèquement universel tandis que les rêves et les désillusions d’une pleine génération entrent en dialogue avec la suivante. À l’instar des protagonistes, l’immigration revêt plusieurs visages selon l’expérience qu’ils en ont.
Force est de constater la simplicité apparente de l’approche sur laquelle repose néanmoins un tour de force. Laurent Cantet se concentre sur les visages et saisit le poids des silences tandis que le temps se dissipe à mesure que s’ancre la nuit. La fluidité des échanges, la justesse des regards et l’évolution de l’interprétation de l’ensemble du casting sont autant d’éléments étourdissants. La mise en scène, pourtant apparente au travers notamment du montage, semble s’effacer. Malgré une dynamique de champs/contre-champs et d’ellipses marquées, le réalisateur apparaît saisir ses protagonistes à vif ce qui donne non seulement au film au coloration documentaire mais semble tendre à la mise à nu effective des comédiens qui se révèlent peut-être eux-mêmes à travers leur personnage.
RETOUR A ITHAQUE
♥♥(♥)
Réalisation : Laurent Cantet
France – 2014 – 92 min
Distribution : Cinéart
Comédie Dramatique
Film Fest Gent 2014 – Focus Cinéma français