Depuis la première de EDEN à Toronto, Félix de Givry passe une grande partie de son temps à en faire la promotion. Révélation du film de Mia Hansen-Love, il y campe Paul le double cinématographique du frère de la réalisatrice. Rencontre lors de son passage au Festival du film de Gand.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet ? - Une amie s’est fait arrêtée dans la rue pour un autre film et comme j’ai un très bon copain, Tony, qui veut devenir acteur, elle m’a appelé en me disant qu’il devait absolument envoyer ses photos. Du coup il m’a proposé qu’on le fasse ensemble, on a fait les essais et j’ai passé les étapes. La directrice de casting m’a gardé en tête et m’a rappelé pour EDEN. Et me voilà.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le scénario ? - Je suis très proche de la musique électronique et ça me passionnait vraiment de découvrir les années 1990. C’est une génération qui est, pour moi, tombée dans un trou noir. Les médias traditionnels ne s’y intéressaient pas et il n’y avait pas de réseaux sociaux. Du coup on ne trouve pas grand chose. Il y a plein de morceaux qu’on ne trouve pas sur youtube – il y a des vinyles mais personne n’a eu l’idée de les enregistrer et de les mettre en ligne. Ça me plaisait vraiment de me plonger la dedans.
Comment avez-vous préparez votre rôle ? - J’ai écouté beaucoup de musique avec Sven (Hansen-Love) qui m’a appris à mixer sur vinyles. C’est vraiment différent. C’est assez difficile en fait. Maintenant les dj’s mixent avec leur ordi avec le son déjà calé… Là, c’est vraiment à l’oreille que ça se fait. Sven m’a filé tous les magazine eDEN et plein de fanzines qu’on trouvait à l’époque. Il m’a raconté beaucoup d’histoires qui ne sont pas dans le film et j’ai rencontré ses amis, tous ces gens qui sont des personnages dans le films. Je me suis nourri de leurs histoires. Je me suis rendu compte que c’est vraiment un petit groupe de 200 ou 300 personnes qui se retrouvaient chez le disquaire. Tout le monde se connaissait et ils n’avaient pas conscience de ce qui était en train de se passer.
Il y a eu combien de temps de préparation ? - Ça a été une préparation par défaut. J’ai passé le casting en juin 2012 et on devait commencer le tournage en février. Initialement c’était deux films avec six mois de tournage. Avec les difficultés de financement, le projet a été réduit en un film qu’on a tourné en août 2013. Du coup il y a eu un an de « préparation » où on passait du temps ensemble. Pendant le tournage, il y a eu une pause et là on a continué à répéter de manière plus intensive.
Le film s’étale sur plus de vingt ans, vous n’aviez pas d’appréhension ? - Je sais que, physiquement, il y avait un parti-pris réaliste. Sven fait très très très très jeune. Du coup je crois que ça ne gênait pas Mia qu’il n’y ait pas de vieillissement spectaculaire. Et bizarrement, vu que j’ai beaucoup côtoyé Sven, ça a été plus dur d’imaginer comment il était à 20 ans. Aujourd’hui il est très timide et réservé. Ce n’était pas évident de l’imaginer prendre des rails de coke et faire la fête comme un malade.
Il est assez rare de voir au cinéma un garçon qui pleure. Ça demande un travail spécifique ? - La première scène de larmes était plus simple pour des raisons personnelles. La deuxième représentait un enjeu dans le film. C’est un personnage qui retient beaucoup de choses. Alors qu’il est assez énervant car il est toujours neutre, c’et le moment où il craque. On n’en avait pas vraiment parlé avec Mia. Au moment où ça devait arriver, c’est arrivé. Normalement Mia fait beaucoup de prises et là on n’en a fait que deux ou trois. C’est venu naturellement. C’était aussi assez tard dans le tournage, donc j’étais fatigué. C’était assez naturel, j’ai pensé à des choses tristes.
Le tournage s’est-il fait de manière chronologique ou votre personnage pouvait-il être à deux périodes de sa vie dans une même journée ? - J’avais un gros problème de barbe à l’époque – maintenant ça va un peu mieux. Ça mettait très longtemps à pousser. On a tourné le plus possible dans l’ordre chronologique. Mais il y a eu des moments plus chauds où on concentrait par exemple les scènes dans l’appartement sur trois jours. Et là je pouvais avoir 24 ou 32 ans sur la même journée – mais du coup il y avait de la fausse barbe, c’était moins agréable.
On sent une véritable complicité entre les différents protagonistes. Est-ce que vous avez rencontré les autres comédiens avant le tournage ? Comment avez-vous travaillez cela ? - On s’est rencontré avant, en tout cas le groupe d’amis. On a entamé le tournage à New-York et c’était quand même une expérience assez forte. Ça a créé une synergie. Après je suis devenu très ami avec Roman (Kolinka). Il y avait deux enjeux : que l’on sente l’amitié très forte avec Cyril et qu’on perçoive l’énergie du groupe. On a beaucoup rigolé sur le tournage aussi. Monsieur Macaigne est quand même très très très très drôle en vrai. Il est hilarant.
Monsieur Macaigne ! Pourquoi « monsieur » ? - C’est un génie. Je l’admire énormément. En plus, au moment du tournage, c’était sa période de « fame ». Il y avait une Macaigne-magnia. Il y avait chaque mois un film avec lui à l’affiche.
Comment avez-vous travaillé le couple que vous formez avec Pauline Etienne ? - Le film a commencé à New-York et on était déjà ensemble – dans le film je veux dire. Après c’est plus simple d’être froids quand on connait déjà la personne que l’inverse. Au-delà de ça la personnalité de Pauline est très proche de celle du personnage de Louise : elle peut être très entrainante et très effacée.
La consommation de drogue est importante dans le fil. EDEN montre une manière de consommer à l’époque. Quelle différence voyez-vous par rapport à aujourd’hui ? - Il y a un mec qui m’a dit il n’y a pas longtemps que ce serait marrant de faire une infographie des styles de musique par rapport aux styles de drogue. C’est vrai quand on voit l’arrivée de l’héroïne avec Velvet Underground, par rapport au tempo des musiques,… Je pense qu’il y a un parallèle à faire entre l’ecsta des années 1990 et aujourd’hui la MDMA – par rapport à la manière dont les gens consomme la musique. Ces drogues ne sont pas similaires mais je pense que sans prendre de la MDMA plein de gens ne verraient pas la musique de la même manière. Sur la manière de consommer, ce qui m’inquiète, c’est que les gens consomment de plus en plus tôt et surtout qu’il y a énormément de dérivés de médicaments qui ne sont pas vraiment identifiés et qui sont vraiment dangereux. C’est assez dramatique car les gens vont finir par prendre n’importe quoi.
Après avoir découvert cette musique des années 1990, est-ce qu’elle fait maintenant partie de votre vie ? - J’ai un label de musique. J’en écoute en permanence. Ça fait partie de ma vie. Le même Tony est très fan de cette musique un peu garage et un peu funk aussi. Il n’arrête pas de me demander les titres du film. Un ami a réalisé un documentaire sur les soirées « Respect » qui s’intitule RESPECT THE DJ’S. Il a interviewé tous les vrais personnages du film et il fait une sorte de parallèle entre les dj’s de notre génération et ceux des années 1990. Ça sortira en 2015.
En quoi consiste votre label ? - On a un collectif en fait. On a commencé par faire des soirées et maintenant on a une boîte de production – on produit le documentaire –, on a un label, on a une agence de publicité et on vient de créer une marque de vêtements. On fait plein d’activités artistiques.
Un sorte de miroir contemporain… - Mais version organisée et responsable. On essaie de penser les choses un petit peu plus loin que demain.
Est-ce que vous identifiez quelque chose qui permet cette organisation aujourd’hui ? - Internet je pense. C’est ce qui permet de faire plusieurs choses en une chose et une chose en plusieurs. C’est vraiment générationnel. Notre génération est portée par la crise, par le fait qu’on ne doive pas compter sur d’autres gens pour nous employer et pour gagner notre vie. Et c’est beaucoup plus stimulant de faire les choses par soi-même. On peut facilement avoir de l’audience avec Internet. C’est aussi une question de chance. On a de la chance d’appartenir à cette génération.